22 décembre 2015

Hugh Quennec actionnaire principal du GSHC et du LHC: la situationest éthiquement intenable, juridiquement inattaquable et, ce soir, sportivement très confortable.

 

Un peu par surprise et beaucoup par intérêt, le vieux secret de Polichinelle est soudain devenu affaire d’Etat. A tel point que, hier soir, Hugh Quennec a pour la première fois admis l’évidence: il a le bras long. Un bras de 64 km qui lui permet d’être l’homme fort des Vernets et l’actionnaire majoritaire du LHC.

 

Alors forcément, ce double bonnet secoue la quiétude paresseuse de la Ligue et inquiète les adversaires des siamois lémaniques (lire en page 32). Mais quelles peuvent être les conséquences de ce ménage à trois? Pour tenter d’y voir un peu plus clair, il faut d’abord séparer le juridique de l’éthique.

 

Conflit d’intérêts?

 

Dans l’article 7.3 de son règlement de jeu, la SIHF écrit: «Il est interdit à un club de la LN de participer sous quelque forme que ce soit à un autre club de la LN de la même ligue.» Cette interdiction touche-t-elle le «cas Quennec»? «Absolument pas, répond un avocat spécialisé dans le droit du sport. L’article stipule qu’un club n’a pas le droit de prendre part dans un autre club. Il ne dit pas qu’un actionnaire ne peut pas être majoritaire de deux clubs participant à la même compétition, comme le fait l’UEFA par exemple. Le cas serait réglé en quelques minutes devant un juge.»

 

Juridiquement, la double casquette de Hugh Quennec semble donc inattaquable. Mais qu’en est-il de sa dimension éthique? Après tout, les Aigles ont quand même égaré 25 des 39 points en jeu contre le LHC depuis 2013. Comment dès lors certifier à un supporter de Berne ou de Fribourg – classés 9es lors des deux derniers exercices – que le conflit d’intérêts n’a jamais franchi la porte des vestiaires?

 

C’est évidemment cet affreux doute qui met en émoi la Ligue et lui fait brandir le fameux article 13.3 de ses statuts. Celui-là même qui stipule que les membres (clubs) «qui lèsent gravement son honneur, peuvent, après audition préalable par la direction de la SIHF, être exclus de la SIHF». Cocufiée par ce ménage à trois qu’elle a tout fait pour ne pas voir, la Ligue peut-elle vraiment pleurer son «honneur»?

 

Règlement trop vague

 

«Il me semble très difficile de prétendre qu’être actionnaire de deux clubs est un outrage, reprend cet avocat spécialisé. Faire de l’argument éthique une question d’honneur, cela reviendrait à tirer très loin le fil du texte. Juridiquement, la causalité ne tient pas. La SIHF va devoir revoir ses statuts sur cette question de l’actionnariat.» Autrement dit, la Ligue se retrouve obligée à cohabiter avec un soupçon de conflit d’intérêts par la faute de textes de loi trop vagues et un rien obsolètes. A titre de comparaison, Watford, Grenade et l’Udinese, trois clubs propriétés de la famille Pozzo, n’auraient aucune chance de participer à la même Coupe d’Europe. Car l’UEFA, elle, a pris ses précautions.

 

Forcément vainqueur

 

Au final, Hugh Quennec devrait donc passer une très belle soirée devant sa télévision. Imaginez un instant. Chris McSorley se sent lésé par le corps arbitral, perd ses nerfs et le fil du match… HQ gagne en «rouge et blanc». Pesonen, Louhivaara et Danielsson ratent des montagnes, l’Aigle les punit en contre… HQ jubile en «grenat». Deux clubs, cent scénarios, un seul vainqueur. Jusqu’à la prochaine assemblée générale de la Ligue, Hugh Quennec n’a a priori rien à craindre. D’ailleurs les Aigles et les Lions sont bien partis pour s’inviter une troisième année consécutive au festin des play-off. 

 

Sa réponse au CA du LHC

 

Via un communiqué envoyé par le service de presse du GSHC, Hugh Quennec a répondu hier soir à Patrick de Preux, lequel déclarait vendredi dernier «ne pas connaître le détail de son implication (au LHC) avant 2013». «Agissant en toute transparence vis-à-vis des organes du club, en particulier du conseil d’administration, M. Quennec n’a jamais caché l’existence de sa participation, détaille le communiqué. (…) (Cette participation) a de surcroît été confirmée à de réitérées reprises, souvent publiquement. Le conseil d’administration a d’ailleurs obtenu confirmation écrite de cet état de fait.» Par ailleurs, le président du GSHC insiste sur le fait qu’il «a été approché en 2007 par le président du LHC pour participer activement à son sauvetage.» Avant de s’engager, le Québécois rappelle aussi qu’il a «vérifié auprès de plusieurs juristes que sa propre participation au club soit conforme à la réglementation de la Ligue»; ce qu’il lui avait été «confirmé sans aucune réserve». Hugh Quennec sera auditionné demain par la SIHF

 

Cette promiscuité secoue la LNA (par Frédéric Lovis)

 

Quelques coups de fil passés à différents clubs de LNA démontrent que l'affaire Quennec agite les esprits bien au-delà de l'arc lémanique

 

Hugh Quennec, propriétaire de deux organisations - Lausanne et GE Servette - bataillant au sein de la même ligue : depuis vendredi et une conférence de presse tenue par le conseil d'administration du LHC, où ce "secret de polichinelle" a été dévoilé, c'est la réalité à laquelle la LNA est confrontée. Elle ne plaît pas du tout à la Ligue nationale. Son directeur, Ueli Schwarz, l'a même qualifiée d'"intolérable" dans les colonnes du "Matin Dimanche", ajoutant : "L'équité sportive est fortement remise en question. GE Servette et LHC doivent clairement savoir que cela nous déplaît et corriger la situation". Cette réalité ne plaît pas non plus à de nombreux clubs de LNA. Un coup de fil passé à plusieurs dirigeants le prouve.

 

Ce qu'en pensent cinq responsables de clubs de LNA

 

Bienne, Daniel Villard, manager

 

"Des rumeurs à ce sujet courent depuis des années maintenant. Suite à cette conférence de presse, les choses semblent claires. La pression est désormais sur la Ligue. Je pense qu'elle s'est montrée, dès le début, trop légère dans cette affaire. Elle aurait du réclamer davantage de transparence aux parties concernées. Le moment me semble venu d'exiger des informations sur qui possède les actions, et dans quel pourcentage. Sinon, les rumeurs vont continuer  à être colportées et, à la fin, ce ne sera pas bon du tout pour l'image du hockey suisse."

 

Zoug, Patrick Lengwiler, CEO

 

"Il est absolument nécessaire que la lumière jaillisse. Pour moi, le fait de respecter les règlements vient presque au second plan. Fondamentalement, il en va de la crédibilité de notre sport. Pour nous, cette notion est centrale. Il est impossible de la respecter si deux clubs fonctionnent comme on le soupçonne en ce moment du côté de GE Servette et de Lausanne. S'il venait à être prouvé que c'est bien le cas, alors il conviendrait immédiatement de revoir le fonctionnement de la Ligue afin d'éviter pour de bon qu'une telle chose ne soit possible à l'avenir"

 

ZSC Lions, Peter Zahner, CEO

 

"Je suis satisfait d'avoir vu la Ligue réagir tout de suite via la mise sur pied d'une enquête. D'après ce que je sais, les protagonistes vont devoir s'expliquer cette semaine encore. Quennec devra fournir des renseignements et, en fonction de ceux-ci, il faudra voir quel sera le comportement de la Ligue. Mais si ce que l'on raconte s'avère exact, ce serait un scandale. Des soupçons existent depuix longtemps, on nous a toujours dit : "Ne vous en faites pas, tout est en ordre". Si le contraire venait à être prouvé, ce serait autant incroyable qu'inacceptable"

 

Lugano, Jean-Jacques Aeschlimann, manager

 

"Nous avons pris connaissance du communiqué de la Ligue, envoyé vendredi après la conférence de presse de Lausanne. Au-delà de ça, il m'est difficile de prendre position en ne connaissant pas tous les tenants et aboutissants du dossier. Il convient d'attendre le résultat de l'enquête menée par la Ligue. Son boulot, c'est de faire respecter des règlements. Si ceux-ci ont été violés, eh  bien, il conviendra de prendre les mesures qui seront jugées adéquates"

 

FR Gottéron, Raphaël Berger, directeur général

 

"A un moment donné, la transparence vis-à-vis de l'actionnariat d'un club doit être exigée. Il n'est pas acceptable qu'une personne possède deux clubs différents. Mais il convient aussi d'être prudent. Qu'en est-il si on parle d'une holding ou d'un fonds d'investissement ? Comment savoir qui se cache réellement derrière ? Les règlements d'une Ligue, quelle qu'elle soit, seront toujours inférieurs à ceux en vigueur dans la justice civile. Ce qu'il y a d'étonnant dans ce cas, c'est que l'affaire éclate en même temps que les discussions vont bon train au sujet de la nouvelle patinoire"