Jeudi, face aux ZSC Lions, l’entraîneur joueur de GE Servette a sorti un nouvel atout de sa manche: la prolongation 3 attaquants et 1 défenseur. McSorley n’en est pas à son coup d’essai.
Comment faire sortir Chris McSorley de son sérieux, lorsqu’il parle de son équipe? Evoquer le poker. Cet amateur éclairé du jeu de cartes en a appris les rudiments – et même largement plus –, lors de son passage à Las Vegas, où il a entraîné l’équipe locale. «C’est forcé d’apprécier ce jeu et cet univers lorsque vous passez autant de temps dans cette ville», rigolet-il. Ce n’est pas un hasard si son style de coaching est directement inspiré du jeu d’adresse (certains diront de chance) né à «Sin City» et largement démocratisé en Europe depuis plusieurs années.
Evaluation du risque
Lorsque l’on entraîne une équipe, de la même manière qu’au cours d’une partie de poker, il faut sans arrêt évaluer les risques d’une décision et les bénéfices potentiels qui en découlent, dé- taille-t-il. Lorsque les retombées escomptées sont plus grandes que l’investissement de départ, c’est un coup qui se tente. Lors d’un match, c’est exactement la même chose pour l’entraîneur.»
Depuis qu’il a repris en main le GE Servette en 2001, Chris McSorley n’a jamais hésité à prendre des risques. Tantôt aux limites du règlement, prompt à créer de nouvelles stratégies ou audacieux à souhait avec ses ouailles, le maî- tre à penser des Vernets rend presque banal le fait de sortir son gardien alors qu’il reste 50 minutes à jouer et que son équipe mène 2-0. C’était le 24 octobre dernier (lire ci-dessous). Il est comme ça, Chris McSorley. «On ne se refait pas», se marre-t-il.
Tous ses essais n’ont pas eu de retombées positives, évidemment. Mais comme tout joueur de poker émérite, Chris McSorley sait que si, sur le long terme, cette stratégie très agressive lui donne un avantage, il se doit de persévérer.
N’avait-il pas envoyé le «gamin» Noah Rod, 17 ans, tirer le penalty décisif face à Lugano, en quarts de finale des play-off 2014? Coup de génie puisque le jeune joueur avait marqué et qualifié les Aigles.
Avoir la bonne combinaison
Depuis la saison 2006-2007, la Ligue nationale a décidé d’abolir les matches nuls et d’adopter la mort subite à 4 contre 4. Depuis bientôt une décennie, implacablement, les formations alignent 2 défenseurs et 2 attaquants. Cette saison, la NHL, qui a toujours une longueur d’avance, est passée au temps additionnel à 3 contre 3. Depuis la reprise, les entraîneurs ont l’embarras du choix. 2 attaquants? 1 attaquant? Carré ment 3 attaquants? Et si ces atermoiements avaient donné des idées à McSorley qui, lui aussi, a souvent (tout le temps?) un coup d’avance? Jeudi, face à Zurich, son équipe a entamé la prolongation à 4 contre 3 avec 3 attaquants et 1 défenseur. Le retour du joueur pénalisé n’a rien changé. Les 5 minutes ont été disputées avec 2 ailiers, 1 centre et 1 défenseur. Si l’essai n’a pas été fructueux, il y a fort à parier qu’il retentera le coup.
Le fameux coup de bluff
Chris McSorley n’a pas son pareil pour oser là où tant d’autres entraîneurs s’enferment dans un carcan rigide. Sortir le gardien? Seulement dans les deux dernières minutes et seulement si l’on est menés au score. Face à ce manque de créativité – de folie diront certains –,le Canadien, lui, a imposé un tout autre style. Un des derniers exemples en date? Le Genève- Zoug du 24 octobre dernier. Alors que son équipe menait 20 après 8 minutes seulement, les Aigles ont bénéficié d’un 5 contre 3 durant 40 secondes. Suffisant pour tenter d’enfoncer le clou. Robert Mayer a été rappelé au banc sitôt le puck en possession des «grenat». La manœuvre n’a certes pas été couronnée de succès, mais elle a au moins eu le mé rite de montrer que l’homme à tout faire des Vernets n’avait pas froid aux yeux. Jamais.
Les règles sur le bout des doigts
Dans un passé pas si lointain, l’hommeorchestre de GE Servette avait une marotte: faire mesurer l’incurvation de la palette des fines gâchettes adverses. Certains «spécialistes» tordaient tellement l’extrémité de leur crosse qu’ils sortaient du cadre légal. Si un joueur était pris en flagrant délit de «courbage» intempestif, il était sanctionné d’une pénalité de 2 minutes pour équipement incorrect. Combien des périodes de supériorité numérique atil gratté en jouant avec le règlement? Beaucoup. Récemment, il n’a plus utilisé cette astuce. «Rassurezvous, je vais encore le faire lorsque je le jugerai nécessaire», a rigolé le principal intéressé.
Eliminer du jeu la carte maîtresse
Si GE Servette a pu retourner la série de playoff 2010 face à FR Gottéron en étant mené 1-3, c’est en grande partie grâce à son coach. Il savait qu’en faisant sortir de ses gonds – et de la série – Shawn Heins, l’atout maître des Dragons, son équipe aurait de grandes chances de faire basculer la série. Lors du 2e match, chatouillé par Daniel Rubin, l’irascible défenseur fribourgeois lui a collé une droite et a insulté quiconque se trouvait sur son passage au moment de quitter la glace. Résultat des courses? 4 matches de suspension. La série n’était plus la même. Le poker est une guerre psychologique et Chris McSorley sait utiliser les faiblesses de son adversaire à son avantage.
«Je peux rapidement passer pour un guignol»
Pourquoi tous ces risques?
Pour accepter de prendre de tels risques, il faut avoir confiance en son équipe. Sortir son gardien alors que ce n’est pas nécessaire, c’est risqué. Il faut accepter de passer pour un héros si ça marche et pour un zéro si on encaisse. Je suis conscient que je peux rapidement passer pour un guignol avec ce genre de trucs. Si tu marques, tu es un héros. Si tu encaisses, tu es un zéro.
Jeudi, c’était un test grandeur nature de votre stratégie en prolongation?
Nous l’entraînons 3 fois par semaine. Comme nous jouons avec seulement 6 défenseurs, ils sont plus vite fatigués. Et cet élément est capital lors d‘une prolongation. Je préfère avoir des joueurs plus doués et rapides. Cela n’a pas marché contre Zurich, mais il y aura d’autres occasions.
Sortir votre gardien lors d’un power play en prolongation, ça vous titille?
(Rires.) Je pensais l’essayer très prochainement. Je ne voulais pas le faire contre Zurich car, pour moi, la chance de gagner la série de tirs au but face à leur 2e gardien est grande. Mais si, pour une raison ou pour une autre, j’estime que nous ne serions pas les favoris, je n’hésiterai pas.