14 novembre 2015

Jeudi, face aux ZSC Lions, l’entraîneur joueur de GE Servette a sorti un nouvel atout de sa manche: la prolongation 3 attaquants et 1 défenseur. McSorley n’en est pas à son coup d’essai.

 

Comment faire sortir Chris McSorley de son sérieux, lorsqu’il parle de son équipe? Evoquer le poker. Cet amateur éclairé du jeu de cartes en a appris les rudiments – et même largement plus –, lors de son passage à Las Vegas, où il a entraîné l’équipe locale. «C’est forcé d’apprécier ce jeu et cet univers lorsque vous passez autant de temps dans cette ville», rigolet-il. Ce n’est pas un hasard si son style de coaching est directement inspiré du jeu d’adresse (certains diront de chance) né à «Sin City» et largement démocratisé en Europe depuis plusieurs années.

 

Evaluation du risque

 

Lorsque l’on entraîne une équipe, de la même manière qu’au cours d’une partie de poker, il faut sans arrêt évaluer les risques d’une décision et les bénéfices potentiels qui en découlent, dé- taille-t-il. Lorsque les retombées escomptées sont plus grandes que l’investissement de départ, c’est un coup qui se tente. Lors d’un match, c’est exactement la même chose pour l’entraîneur.»

 

Depuis qu’il a repris en main le GE Servette en 2001, Chris McSorley n’a jamais hésité à prendre des risques. Tantôt aux limites du règlement, prompt à créer de nouvelles stratégies ou audacieux à souhait avec ses ouailles, le maî- tre à penser des Vernets rend presque banal le fait de sortir son gardien alors qu’il reste 50 minutes à jouer et que son équipe mène 2-0. C’était le 24 octobre dernier (lire ci-dessous). Il est comme ça, Chris McSorley. «On ne se refait pas», se marre-t-il.

 

Tous ses essais n’ont pas eu de retombées positives, évidemment. Mais comme tout joueur de poker émérite, Chris McSorley sait que si, sur le long terme, cette stratégie très agressive lui donne un avantage, il se doit de persévérer.

 

N’avait-il pas envoyé le «gamin» Noah Rod, 17 ans, tirer le penalty décisif face à Lugano, en quarts de finale des play-off 2014? Coup de génie puisque le jeune joueur avait marqué et qualifié les Aigles. 

 

Avoir la bonne  combinaison

 

Depuis la saison 2006-2007, la Ligue nationale a décidé d’abolir les matches nuls et d’adopter la mort subite à 4 contre 4. Depuis bientôt une décennie, implacablement, les formations alignent 2 défenseurs et 2 attaquants. Cette saison, la NHL, qui a toujours une longueur d’avance,  est  passée  au  temps  additionnel  à  3  contre 3. Depuis la reprise, les entraîneurs ont l’embarras du choix. 2 attaquants? 1 attaquant? Carré­ ment  3 attaquants?  Et  si  ces  atermoiements avaient donné des idées à McSorley qui, lui aussi, a souvent (tout le temps?) un coup d’avance? Jeudi, face à Zurich, son équipe a entamé la prolongation à 4 contre 3 avec 3 attaquants et 1 défenseur. Le retour du joueur pénalisé n’a rien  changé.  Les  5 minutes  ont  été  disputées  avec 2 ailiers, 1 centre et 1 défenseur. Si l’essai n’a pas été fructueux, il y a fort à parier qu’il retentera le coup. 

 

Le fameux coup  de bluff

 

Chris McSorley n’a pas son pareil pour oser là où tant d’autres entraîneurs s’enferment dans un carcan rigide. Sortir le gardien? Seulement  dans  les  deux  dernières  minutes  et seulement si l’on est menés au score. Face à ce manque de créativité – de folie diront certains –,le Canadien, lui, a imposé un tout autre style. Un des  derniers  exemples  en  date?  Le  Genève- Zoug du 24 octobre dernier. Alors que son équipe  menait  2­0  après  8 minutes  seulement,  les  Aigles  ont  bénéficié  d’un  5  contre  3  durant 40 secondes. Suffisant pour tenter d’enfoncer le clou. Robert Mayer a été rappelé au banc sitôt le puck  en  possession  des  «grenat».  La manœuvre n’a certes pas été couronnée de succès, mais elle a au moins eu le mé­ rite de montrer que l’homme à tout faire des Vernets n’avait pas froid aux yeux. Jamais. 

 

Les règles sur  le bout des doigts

 

Dans  un  passé  pas  si lointain, l’homme­orchestre de GE Servette avait une marotte: faire mesurer l’incurvation de la palette des  fines  gâchettes  adverses.  Certains  «spécialistes» tordaient tellement l’extrémité de leur  crosse  qu’ils  sortaient  du  cadre  légal.  Si  un joueur était pris en flagrant délit de «courbage» intempestif, il était sanctionné d’une pénalité de 2 minutes  pour  équipement  incorrect.  Combien  des  périodes  de  supériorité  numérique  a­t­il gratté  en  jouant  avec  le  règlement? Beaucoup.  Récemment,  il  n’a  plus utilisé  cette  astuce.  «Rassurezvous, je vais encore le faire lorsque je le jugerai nécessaire», a rigolé le principal intéressé. 

 

Eliminer du jeu  la carte maîtresse

 

Si GE Servette a pu retourner la série de play­off 2010 face à FR Gottéron en étant mené 1-­3, c’est en grande partie grâce à son coach. Il savait qu’en faisant sortir de ses gonds – et de la série – Shawn Heins, l’atout maître des Dragons,  son  équipe  aurait  de  grandes  chances de faire basculer la série. Lors du 2e match, chatouillé par Daniel Rubin, l’irascible défenseur fribourgeois lui a collé une droite et a insulté quiconque se trouvait sur son passage au moment de quitter la glace. Résultat des courses? 4 matches de suspension. La série n’était plus la même. Le  poker  est  une  guerre  psychologique  et  Chris McSorley  sait  utiliser  les  faiblesses de  son  adversaire  à  son  avantage.

 

«Je  peux  rapidement  passer  pour  un  guignol»

 

Pourquoi tous ces risques?

 

Pour accepter de prendre de tels  risques, il faut avoir confiance  en son équipe. Sortir son gardien  alors que ce n’est pas nécessaire,  c’est risqué. Il faut accepter  de passer pour un héros  si ça marche et pour un zéro  si on encaisse. Je suis conscient  que je peux rapidement passer pour  un guignol avec ce genre de trucs.  Si tu marques, tu es un héros.  Si tu encaisses, tu es un zéro. 

 

 Jeudi, c’était un test grandeur  nature de votre stratégie  en prolongation?

 

Nous l’entraînons 3 fois  par semaine. Comme nous jouons  avec seulement 6 défenseurs, ils sont plus vite fatigués.  Et cet élément est capital  lors d‘une prolongation. Je préfère  avoir des joueurs plus doués  et rapides. Cela n’a pas marché  contre Zurich, mais il y aura  d’autres occasions.

 

Sortir votre gardien lors d’un  power play en prolongation,  ça vous titille? 

 

(Rires.) Je pensais l’essayer  très prochainement. Je ne  voulais pas le faire contre  Zurich car, pour moi, la  chance de gagner la série  de tirs au but face à leur  2e gardien est grande. Mais si,  pour une raison ou pour une autre,  j’estime que nous ne serions pas  les favoris, je n’hésiterai pas.